L'exposition qui lui est consacrée au Fonds Hélène et Edouard Leclerc de Landerneau nous montre un artiste singulier. L'essentiel de sa pratique consiste à dessiner à la pierre noire sur un un papier fragile des oeuvres qu'il colle ensuite en différents endroits des villes choisies et qui sont destinées dès l'abord à disparaître. Le processus de dégradation et de disparition faisant partie de la création et donnant lieu à des photographies qui en fixent les étapes
Ecce homo. Le corps de l'homme, sublimé, maltraité, est au centre de l'oeuvre de l'artiste.
La prison Saint-Paul de Lyon a donné lieu à une présentation qui aligne les yoyos, ces bouteilles de plastique qui permettent d'échanger entre les cellules (messages, cigarettes, shit) et différents objets accrochés aux barbelés (chaussures, chemises, couvertures) comme autant de traces des tortures et des souffrances qui ont hanté ces lieux.
Ernest Pignon-Ernest est un artiste engagé. Ici il milite pour le droit à l'avortement en montrant un corps de femme écartelé, brisé, réponse à ceux qui brandissent des images de foetus car les femmes, elles aussi, meurent souvent des avortements clandestins pratiqués dans des conditions déplorables. De la même façon il prend position contre le nucléaire en collant des corps sur le plateau d'Albion, contre l'apartheid en plaçant des portraits de prisonniers derrière des grillages dans Nice lors du jumelage avec Le Cap ou en multipliant les collages de cadavres de fusillés de la Commune sur les marches de la basilique du Sacré Coeur
Ici, il dénonce l'expulsion des gens humbles du centre des villes en figurant des expulsés avec leurs valises et leurs matelas dans des immeubles éventrés dévoilant l'intimité des anciens occupants.
Naples a été un lieu et une source d'inspiration qui a beaucoup compté. Ici le thème de la mort et de ses rapports avec le sous-sol, sur un soupirail près de l'entrée d'une église.
Naples encore, avec cet homme portant un corps, évoquant la peste, mais aussi l'actuelle épidémie de sida, avec, bien sûr, l'ombre du Caravage.
Autre dialogue avec Le Caravage, ce portrait de femme endormie ou morte, référence à la Mort de la Vierge de l'illustre peintre.
Le femme, figure importante de l'oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest, est ici collée dans les rues de Naples, dans un geste emblématique, tirant ce qui peut être un drap, une nappe ou un suaire.
L'artiste voue une véritable passion à la poésie et aux poètes. Ici, Rimbaud, dont il a collé le portrait un peu partout à Paris et à Charleville. Sa représentation du poète est d'ailleurs devenue le portait quasi-officiel utilisé sur la plupart des ouvrages qui lui sont consacrés.
Ou Pasolini et son génial portait portant son propre cadavre. L'artiste a étudié les photos du rapport de police pour reconstituer de façon réaliste le cadavre retrouvé sur une plage d'Ostie
Ou encore Mahmoud Darwich, poète palestinien, collé un peu partout sur les murs de la honte.
Sans oublier Victor Segalen, Robert Desnos, Antonin Artaud ou Jean Genet.
Il est difficile de rendre compte d'une exposition tellement riche. Il faudrait parler encore de Soweto ou d'Haïti qui ont inspiré l'artiste, de Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques assassiné à Alger.
Le mieux est encore de courir la voir avant le 15 janvier.